Guy Foissy, auteur de pièces de theâtre

"Fais si peux si peux pas fais pas."


Interview


ASSOCIATION FRANÇAISE POUR LA LECTURE LES ACTES DE LECTURE n°33 (mars 1991)

Actes de Lecture : Comment les autres interviennent dans votre écriture ?

Guy FOISSY : Je ne sais trop... Écrire "sous influence" sûrement pas. Bien sûr, les auteurs de théâtre contemporain sont d'une certaine façon les enfants de BECKETT ; et l'idéal du théâtre populaire me reste très proche : J. VILAR et J.M. SERREAU sont des gens pour lesquels j'ai le plus d'admiration. Mais je ne me situe pas vraiment dans un courant particulier. Bien sûr, je me sens proche des gens de ma génération - et des plus jeunes - qui traitent des problèmes de société : je pense à GRUMBERG par exemple et à Georges MICHEL... Je me retrouve sans doute dans ce théâtre imprégné de la réalité des choses, lié à la problématique de la société contemporaine. Les thèmes sont transposés et traités par le prisme de l'humour, qui me semble être le seul moyen de dire et de faire accepter des choses graves au théâtre.
Et bien sûr, j'admirais BRECHT et comme bien d'autres, je me suis essayé étant jeune, à écrire "du Brecht". Mais avant tout, je crois que ce qui me fait bouger dans mon travail, c'est d'être joué, c'est de voir mes pièces et le travail que font dessus les metteurs en scène et les comédiens. C'est comme une remise en question qui me fait continuer à écrire... La chance qu'on a, en tant qu'auteur de théâtre, c'est de voir des mises en scènes différentes avec des comédiens différents : on voit bouger ses personnages, comme autant de regards sur sa propre écriture.
Et puis bien sûr, l'influence d'un milieu, la culture dans laquelle on vit : ma grand mère, personne cultivée par ailleurs, aimait beaucoup la poésie. Et au lycée, j'allais au théâtre deux à trois fois par semaine. Mais chez moi, on n'écoutait pas de musique : peut-être que si j’avais joué d’un instrument, j’aurais été musicien !

Actes de Lecture : Apprend-on à écrire ?

Guy FOISSY : Ce qui est sûr, c'est qu'on écrit à l'intérieur d'un éventail qui est le sien : on poursuit un itinéraire à l'intérieur des mêmes thèmes et des mêmes personnages qui reviennent et qui sont les siens. L'écriture de théâtre, ce n'est pas un processus intellectuel. Je suis pour ma part très sensible à la musique d'un texte : les mots et les phrases s'enchaînent, et c'est cet enchaînement et cette construction qui échappent à l'auteur, pas ses personnages. Par exemple, je parle souvent de "l'Escargot" : pour l'Escargot, c'est une phrase qui m'est venue en tête, une réplique et deux personnages, que j'ai baptisés un et deux : "Monsieur, vous avez un escargot sur le côté droit de votre pantalon". L'autre répond : "ça m'étonnerait, ici, il n'y a pas d'escargot !" À partir de là, on peut écrire deux phrases, un sketch ou une pièce...
Apprend-on à écrire ? Je ne sais pas. Bien sûr, quand un texte est terminé, on s'aperçoit qu'il y a une construction, que des personnages ont pris de l'épaisseur, que des débats nous ont influencés, qu'on est toujours en train de traiter des faux semblants de la vie sociale...
Mais apprend-on vraiment à écrire ? Je crois surtout que pour apprendre à écrire, il faut écrire et encore écrire. Depuis le lycée, j'ai écrit des centaines de pièces, et j'ai écrit essentiellement pour le théâtre. Tout ce que j'écris est fait pour être dit, raconté, joué.
C'est comme une "fatalité" je ne sais rien écrire d'autre... Et quand on fait du théâtre, il faut être joué, bien plus encore qu'être édité ! Certaines de mes pièces n'ont jamais été éditées, mais il m'importe plus qu'elles soient jouées.
Je ne crois pas du tout aux écoles d'écrivains comme aux États-Unis, où l'on apprendrait à être un romancier en 15 leçons ! C'est le besoin d'écrire qui nous pousse à l'écriture : c'est parce que je suis bouleversé par une scène de la vie quotidienne que j'ai envie d'écrire...
Pour quelqu'un qui veut écrire pour le théâtre, il faut aller au théâtre, voir qui monte tel ou tel type de pièces, savoir quel comédien peut être intéressé par un rôle... il faut s'inscrire à un cours de théâtre pour voir les comédiens travailler, pour comprendre ce qui se passe sur la scène. Moi, j'ai suivi des cours en auditeur, pas seulement pour connaître les pièces mais pour voir le travail des comédiens et des metteurs en scène.

Actes de Lecture : Que penser des ateliers d'écriture ?

Guy FOISSY : J'ai animé des stages d'expression, ou d'écriture... Ce que je cherchais à faire, c'était aider les gens à se libérer d'un blocage : les aider à sortir ce qu'ils avaient en eux. Le plus important, c'est d'être sincère, ne pas fabriquer.
On choisissait un thème, on apportait une réflexion sur ce thème et chacun essayait ensuite de s'exprimer dans ce qu'il avait de plus sincère. L'important, ce n'est pas de se demander comment on va le dire, mais c'est d'écrire sincèrement ce que l'on ressent.
Mais, plus important encore, pour apprendre à écrire, il faut écrire, et encore écrire : c'est comme un chauffeur de poids lourds, s'il ne conduit pas pendant quelques temps, le jour où il remonte dans son camion, ça ira peut-être mal !
Pendant ces stages, dans ce travail d'écriture, les personnes nous disaient qu'elles se sentaient intelligentes, et capables de faire des choses, de réfléchir à nouveau ...! Et pendant le travail, le mieux, c'est de dire à quelqu'un : "c'est pas mal ce que vous faîtes ; vous avez donné trois pages, et bien apportez-en vingt !"
Mais les jugements, que l'on peut donner sur un texte, c'est difficile ! Il y a tellement de points de vue différents sur une écriture ! On peut juger de l'intensité des personnages, de leur réalité, de l'originalité de l'écriture, de l'effet qu'elle produit sur soi lecteur... Tout cela est très subjectif !

Actes de Lecture : Que faudrait-il faire pour augmenter le nombre de producteurs d'écrits ?

Guy FOISSY : Il ne s'agit pas que tout le monde soit écrivain, ce ne serait pas très intéressant ! Tout le monde ne s'exprime pas de la même façon. Ce qui est important, c'est la culture propre à son mode d'expression à soi : un militant, un musicien ou un écrivain a besoin de lire, de réfléchir, de rencontrer ou de confronter ce qu'il sait ou ce qu'il pense... On a besoin d'écouter d'autres musiques que celles qu'on nous impose, de connaître d'autres pièces que celles qui sont toujours jouées, ou d'autres films que ceux qui passent à la télévision.
Et là, le rôle de l'école est important ! Il faut que les enfants sortent : aujourd'hui, dans une ville de France moyenne, depuis la maternelle jusqu'au Bac, je sais que les jeunes n'auront pas eu l'occasion d'aller voir des professionnels au théâtre ! Il faut inciter les jeunes à ne pas se contenter du matraquage et du conditionnement dans lesquels ils sont enfermés.
Il y a toute une politique culturelle, au plan des régions, qui a été abandonnée. Une vraie décentralisation aurait permis de développer des cellules de création proches des gens, des jeunes notamment qui ne seraient pas alors coupés de tout... Il y a peu de lecteurs, peu d'écrivains peu d'auteurs : c'est l'échec d'une politique culturelle qui a été incapable dans son ensemble, de provoquer la rencontre dynamique entre les créateurs et ceux pour qui ils créent... On est parti du principe - faux - que pour attirer un nouveau public, il fallait d'abord lui montrer les leurres du passé. Quand je pense qu'une saison, on nous offre 6 Don Juan, celle d'après 4 Misanthrope... On se dit que l'imagination, vraiment, n'est pas au pouvoir.
Le théâtre est confisqué par quelques penseurs : il faut qu'il vive ! Un théâtre qui n'offre pas un miroir sur son temps est un théâtre d'ombres, un théâtre de nuit.
Et je reprendrais volontiers la phrase de Moussa ABADI, dans sa Comédie du Théâtre : "Le théâtre n'est pas fait que par quelques génies, mais par des milliers de talents..."

Propos recueillis par Marie-France FREY