Guy Foissy, auteur de pièces de theâtre

"Fais si peux si peux pas fais pas."


Itinéraire


Difficile de dire comment les choses ont commencé, s'il y a eu un choc, un déclic. Je garde dans ma mémoire, un souvenir flou. C'était au Benin (à l'époque Dahomey), j'avais 12 ans, c'était pendant la guerre. Il n'y avait pas d'enseignants, la femme du juge nous apprenait le français, le comptable d'une maison de commerce, le calcul. Mes parents m'avaient fait suivre des cours particuliers par un professeur de français, béninois. C'est peut-être de lui que m'est venu cet amour des mots. Je ne sais pas, mais si je ne l'ai pas oublié, c'est sans doute qu'il a joué un rôle dans ma vie. Je me souviens qu'il me parlait des poètes, qu'il aimait notre langue, notre culture.
Je suis rentré en France, définitivement, et c'est à l'âge de 14 ans que j'ai écrit ma première pièce. Je ne sais pas comment elle est venue. J'étais lycéen, ma "culture" se limitait à ma vie scolaire, et donc, forcément, je l'ai écrite en vers. 1.000 vers! Je me souviens de ma fierté. j'avais fait plus que Les Plaideurs, donc j'avais écrit une pièce. Dès cet instant, mais je ne le savais pas alors, je suis entré dans un univers dont je ne suis pas sorti. Qui est le mien. J'y traitais les thèmes que je continue à traiter aujourd'hui. La pièce s'appelait Nous habitons tous Charenton, et dans ce titre qui faisait réfèrence à un asile d'aliénés, s'exprime mon attitude par rapport au monde dans lequel je vis. C'est toujours ce même regard, cette même angoisse, cette même ironie, cette même dénonciation. Après ce fut le déluge. Je ne sais combien de pièces j'ai écrites ces années de lycée, une centaine peut-être. Un jour de crise, j'en ai brûlée une grande partie, et je me souviens de l'émotion de ma mère. Quand mes copains envoyaient un poème (ou une simple lettre) à une fille, moi j'offrais une pièce en 3 actes. Je témoigne que c'était beaucoup moins efficace.
Et puis, est venu le temps de mes premières vraies pièces. Pendant mon service militaire en Allemagne, j'ai écrit Saracanas, une pièce d'une heure. J'ai senti qu'il s'était passé quelquechose là. J'avais 23 ans, c'était en 1955. Elle traitait allégoriquement, du bruit, de l'agitation, de l'oppression de la ville. J'ai écrit, une autre pièce d'une heure Le Passé Composé qui parlait de la vieillesse, thème que je retrouverai dans d'autres de mes oeuvres. Je ne sais pas si je souhaiterais qu'elles soient rejouées ou éditées en France. Elles me semblent maladroites, bavardes. Et pourtant, Le Passé Composé a été l'un de mes meilleurs succès il y a peu d'années au Japon. Peut-être que la traduction l'a améliorée. Elles furent créées toutes les deux ensembles, au Théâtre de la Huchette, en 1956, par la Compagnie Gille Chancrin. Ce fut le bide. Net et sans bavure. La critique m'avait accablé ("le meilleur moment c'est l'entr'acte" avait écrit celui, qui se croyait spirituel, d'un grand quotidien parisien. Il est mort depuis, mais hélas pas de ça). On peut en rire, mais pour un jeune homme de 24 ans qui fait ses premiers pas, c'est dur à digérer. Par la suite d'autres furent, Dieu soit loué, plus favorables, et je les en remercie, mais j'admire toujours ces gens qui, sans précaution, d'un trait de plume péremptoire et définitif raye une carrière, celle d'un spectacle, parfois celle d'un poète. Je me suis toujours demandé comment devient-on critique? Par qui est-on jugé? Noté? Y-a-t-il des examens de passage? Pour un auteur, oui, toute la vie, à chaque nouvelle représentation, où qu'elle soit, on repart à zéro, sans passé, sans bagage, on est noté sur une copie qui vous échappe en partie.

Résultat, j'ai du attendre 9 ans (c'est long quand on est jeune) avant d'être rejoué (à part une pièce à la radio, à Rennes, du temps que les stations régionales avaient la possibilité de créer. On ne dira jamais assez combien la radio a aidé les auteurs à s'exprimer, rôle que n'a jamais joué la télévision. Elle a été une tribune essentielle). L'important, et ce n'est pas si facile, c'est de se situer dans l'éventail de ses possibles. J'ai écrit à tout rompre, de tout et son contraire. J'ai le sentiment, au milieu de ses milliers de lignes jetées sur mes pages, d'un tâtonnement, d'une avancée inconsciente, d'un défrichage, d'un débroussaillage, à coup de machette à bille. Et puis un jour, j'ai senti à nouveau qu'il se passait quelque chose. Une nouvelle étape. Avec l'Arthrite, en 1964, j'ai su que j'avais tracé les limites de mon territoire. C'est ça qui était moi, c'est ça que j'étais capable d'écrire, c'est cette musique là, qui était ma musique. Ce serait une erreur de forcer sa nature. On doit se couler dans son propre moule. Je crois que j'étais en train de reconnaître ce que j'étais, et que je suis devenu auteur dramatique. Depuis je n'ai pas cessé d'écrire et d'être joué. Aujourd'hui (1995), le vertige me prend: 65 pièces jouées. Pourquoi? Quelle explication à donner à cet acharnement? A 63 ans, j'ai l'émotion d'être resté fidèle à l'adolescent de 14 ans qui traçait ses premiers mots, au jeune homme de 24 ans qui les entendait pour la première fois. De ne pas les avoir trahi. Aujourd'hui, les marchands veulent nous saucisonner en tranches d'âges, en cibles d'acheteurs potentiels, mais ce qui compte c'est notre unité, notre continuité. J'ai 14 ans, j'ai 24 ans, 40 ans, 60 ans, 100 ans (si Dieu le veut), et plus (s'Il insiste)...

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