Guy Foissy, auteur de pièces de theâtre

"Fais si peux si peux pas fais pas."


Itinéraire


Je dois d'abord d'être auteur, à trois femmes: ma grand'mère, qui m'a donné le goût de lire, ma mère qui m'a toujours poussé et encouragé à écrire, mon épouse Mélina. qui a su préserver mon cadre de création et accepter mes longs silences. Les choses paraissent simples: en 1965, j'étais administrateur du Théâtre de Bourgogne, j'ai envoyé des pièces à Jean-Marie Serreau, que je ne connaissais pas. 15 jours après, il me répondait, 6 mois après la Compagnie Jean-Marie-Serreau-André-Louis Périnetti créait l'Evénement à Paris. Coup sur coup, la Compagnie montait cinq pièces, toutes mises en scène par Périnetti: l'Arthrite, l'Entreprise, Le Voyage au Brésil, En regardant tomber les murs, ces deux dernières illustrées de dessins originaux de Jean-Michel Folon. D'autres rencontres déterminantes, j'ai peur d'être injuste, oublieux: la création à la Comédie Française de Coeur à Deux mis en scène par Jean-Pierre Miquel et avec Ludmilla Mickhaël et Alain Pralon, La Crique avec Claude Piéplu et Micheline Luccioni, mise en scène par Jacques Seiler qui créa aussi La Goutte et le Discours du Père. Annonce Matrimoniale à la télévision, avec Emmanuelle Riva et Mikael Lonsdale, le Grand Prix de l'Humour Noir du Spectacle, qui m'a fait tant plaisir, la radio avec le Nouveau répertoire Dramatique de Lucien Attoun et France-Culture, mes premières éditions par l'Avant-Scène, Moussa Abadi à qui j'impose toujours la lecture de mes premières épreuves, et d'autres qui auront illuminés ma vie; aujourd'hui la Compagnie 73-Théâtre de Cannes avec qui je livre mes derniers combats. Si je ne peux les citer tous, je n'en oublie aucun.
Je me souviens aussi de mon émotion lorsque j'ai été joué pour la première fois à l'étranger. Je vivais à Beaune, ce devait être en 1966. J'écrivais et j'ai réalisé que là bas, en Uruguay, à Montevideo, en espagnol, on donnait la première de l'Evénement. C'est à dire qu'un type avait sué pour me traduire, un théâtre m'avait programmé, investi, un metteur en scène, des comédiens et des comédiennes, un décorateur, des techniciens, des administratifs, tout un petit monde, avaient pendant des semaines, travaillé, s'étaient passionnés, avaient donné le meilleur d'eux mêmes pour que, ce que j'avais écrit dans l'obscurité de mon placard-bureau, atteigne et touche un public si lointain. Quelle merveille...
J'ai eu la chance d'être joué dans pas mal de pays. On me demande parfois, pourquoi mon théâtre marche mieux dans tel pays que dans tel autre. Il faut être lucide: ce sont des rencontres qui décident de notre destin. En Hongrie, par exemple, j'avais un grand traducteur, Endre Lazar, qui m'a imposé, m'a fait jouer au théâtre, à la télévision, éditer. En Allemagne, j'ai eu quelques années un agent, un verlag très efficace.
Au Japon, il y a eu Masao Tani, mon frère en théâtre, qui a créé le Théâtre Guy Foissy de Tokyo en 1976 et qui, depuis lors, continue à ne programmer exclusivement que mes pièces, à me faire traduire, jouer par d'autres troupes, par la télévision (NHK), à me faire éditer (bientôt près de 40 de mes pièces auront été jouées au Japon, et plus de trente éditées). Pourquoi le Japon? Parceque Masao Tani. Il m'aura offert, avec cette passion, cette fidèlité pour mon théâtre l'un des plus beaux cadeaux qu'on puisse offrir à un auteur. Il y a eu d'autres pays, proches ou lointains, d'autres rencontres, d'autres amis.L'un de mes derniers voyages a été à Tatabanya, ville minière proche de Budapest où j'ai vu La Crique hongroise. Il y a la barrière de la langue, l'obstacle des mots, mais nous disons les mêmes choses, nous avons les mêmes regards..
J'ai toujours été émerveillé d'être joué (réaction qui paraîtra peut-être naïve, je devrais plutôt dire: qu'on me joue). Par qui que ce soit, du comédien célèbre à la plus modeste troupe d'amateurs. J'en éprouve de la reconnaissance. Au même moment, le même jour, de mes pièces peuvent être jouées sous des cieux, des cultures, dans des langues diffèrents. Celles écrites il y a 30 ans côtoient celle écrite l'année dernière. Les miroirs de la scène me renvoient mes images. Une pièce est faite pour avoir des vies multiples, ubiquité fascinante. Quand je vais en voir, je suis toujours disponible, ouvert à toutes les expressions, si diverses souvent. Que ce serait triste que de voir toujours la même mise en scène! D'ailleurs, on s'en étonne, je n'assiste pour ainsi dire jamais aux répétitions de mes pièces.

Aujourd'hui, on donne autant d'importance aux metteurs en scène qu'aux auteurs, pourtant, nous ne nous situons pas sur le même plan. L'auteur écrit pour la durée, pas pour un spectacle, mais pour des dizaines, des centaines (si son cri est entendu au loin), des milliers (quand il franchit le mur de l'Histoire), de mises en scène, d'interprétations, d'éclairages, de lectures. Réduire l'oeuvre à une réalisation éphémère, fugitive, événementielle, ponctuelle, c'est la limiter singulièrement. Si un seul spectacle n'est vu, en définitive, que par peu de spectacteurs,et reste localisé, une pièce est ouverte à tous les publics. La pièce existe en dehors de tout spectacle, prête à revivre, offerte comme un défi aux metteurs en scène de talent (mais aussi aux autres), pour qu'ils en surmontent les obstacles, les contradictions. Quelle absurdité que d'inciter l'auteur à se plier à une interprétation! De mes metteurs en scène, pour lesquels j'ai beaucoup d'affection, j'attends fidèlité, honnèteté, humilité (qualité qui n'est pas toujours la mieux partagée), ce qui n'exclut ni le talent, ni l'invention, ni la créativité, ni l'originalité, ni la liberté. Ce n'est pas forcément aux metteurs en scène à plier les auteurs à ce qu'ils savent faire eux, mais aux auteurs à provoquer les metteurs en scène par leurs propositions. J'ai rarement eu d'aventures scandaleuses (une fois, une fois seulement depuis 1956, j'ai du interdire la poursuite d'une exploitation), j'en ai eu certes quelques navrantes, mais sincèrement, très peu. Les faiseurs, les fabricants ne m'intéressent pas beaucoup. Je n'aime pas ce qui, dans une mise en scène, est tape-à-l'oeil, superficiel et gratuit, donc facile, donc l'aveu d'une impuissance. Notons que ceux-là sont rarement des chercheurs, des découvreurs, des explorateurs, et qu'ils ne s'aventurent, en général, qu'en terrain connu, prudemment. J'aime les audacieux qui savent faire des pieds-de-nez aux puissants, pas ceux qui leur font si bien la cour...


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