Guy Foissy, auteur de pièces de theâtre

"Fais si peux si peux pas fais pas."


Itinéraire


J'aime les mots, j'aime ma langue aux 1.000 nuances et si précise. Je m'indigne quand par snobisme, inculture, ou complaisance, on emploie inutilement des mots américains, étalage d'une veule soumission au pouvoir énonomique et culturel dominant. J'aime quand elle est maîtrisée, efficace, belle. Ce sont les mots qui guident mes pièces. La plupart du temps, je ne construis pas, je ne cadre pas, je n'analyse pas. Une maturation se fait, inconsciente, quelque chose s'agite, est en gestation. A un moment donné, cela arrive. Cela démarre. L'important, ce sont les premières répliques. Parfois, elles sont les dernières. Parfois, elles s'enchaînent, se répondent, s'entrechoquent. Cela continue. Jour après jour, le dialogue se tisse, les personnages trouvent leurs visages, affirment leur personnalité, l'histoire avance. Souvent, le soir, je ne sais pas clairement ce qui se passera le lendemain. Et puis, les choses se terminent à un moment donné. On s'aperçoit alors que la pièce a un mouvement, une musique (je suis sensible à la musique, celle des mots, celle d'une oeuvre), qu'il y a un univers, le mien, mes thèmes habituels, que j'ai marqué une nouvelle étape dans mon itinéraire. En fait, il y a trois impératifs pour qu'une pièce existe vraiment:- 1) le thème, - 2) l'histoire, sans laquelle il n'y a pas pièce mais exposé, - 3) les personnages qui racontent l'histoire et qui expriment le thème. Mais on ne le vérifie qu'après. Même si on a envie d'évoquer tel problème, la création est d'abord spontanée, instinctive. Ca ne se passe pas au niveau de l'intelligence, de la volonté, une pièce n'est pas un essai, une thèse, elle est bouillonnement, elle est désordre, comme la vie. Il m'arrive, bien sûr, de vouloir construire. Dans la Crique, par exemple, j'avais découpé mon scénario (je voulais parler de la propriété), et il me fallait 8 personnages. A l'arrivée, il n'en restait que deux, dans une histoire qui avait évoluée autrement que prévu. Rien à expliquer. Rien à justifier. C'est ainsi. Ce ne pouvait donc être qu'ainsi. D'autres l'analyseront mieux que moi, dont c'est le métier. Il m'est arrivé d'écrire des pièces que j'ignorais porter en moi. Elles sont venues, comme ça, sans prévenir. Je ne suis ni philosophe, ni universitaire, mais simplement poète dramatique, cela convient à mon bonheur et suffit à remplir une vie.

J'écris à la main. Je suis sensible au côté physique et sensuel de l'écriture. Avant, je terminais le manuscrit, d'une traite (il faut, en gros, un mois pour une pièce longue, une pièce s'écrit dans un état intense de tension), puis je le tapais à la machine. Je corrige peu, on me le reproche, on a raison. Aujourd'hui, avec l'ordinateur, je mets en mémoire chaque jour ce que je viens d'écrire. Je corrige quotidiennement. Il paraît que c'est mieux, me dit-on. Je n'en sais rien, mais ce que je ne voudrais surtout jamais perdre, c'est cet abandon aux mots, à leur musique, à leur tumulte, à leur exigence. Ma chère paresse...
Dans mon théâtre, on rencontre beaucoup de victimes, des personnages qui subissent, qui se débattent, qui nous émeuvent, qui nous font rire.J'aime faire rire, parceque le rire est le meilleur moyen de dire des choses sérieuses. J'aime mes personnages, j'aime qu'on les aime, qu'on perçoive la tendresse que j'ai pour eux. J'aime les comédiennes et les comédiens, c'est pour eux, d'abord, que j'écris. Ils me passionnent. J'aime les textes et les mises en scène qui leurs permettent d'atteindre au sublime, à l'éblouissement, ou plus simplement au meilleur d'eux-mêmes. J'aime raconter des histoires. J'aime qu'on me raconte des histoires. J'aime raconter mon époque. Le théâtre a une fonction de témoignage, essentielle, comme toute forme d'art. Il est l'expression de la sensibilité d'une société. Il parlera de nous aux hommes et aux femmes de demain. C'est cela, forcément, qui restera, pas l'éphémère et le fugitif. Je vais vous faire une confidence: j'aime le public, j'aime qu'il rit, qu'il soit ému, intéressé, troublé, inquiété, dérangé, "interpellé", qu'il se sente agressé même, mais qu'il soit heureux, qu'il ait envie d'applaudir, qu'il parte avec tout au fond une petite part de lui-même qui soit diffèrente, si petite soit-elle...C'est notre récompense et mon ambition. Cela, je le dois peut-être aux longues années que j'ai vécu dans la Décentralisation. Cette ouverture généreuse au public. Mes héros avaient pour noms: Jean Vilar, Jean Dasté, Hubert Gignoux, René Lesage, Gabriel Monnet et bien d'autres. C'est une de mes fiertés d'avoir participé, si modestement, à cette épopée. J'y suis resté fidèle et je peux témoigner que ce combat se poursuit aujourd'hui avec des centaines de compagnies dramatiques, à travers toute la France, qui jouent souvent les auteurs contemporains. Je ne suis pas pour le théâtre qui se dessèche, se replie sur lui-même, s'explique, se regarde penser. Toute ma vie, par exemple, je me suis battu pour que l'esprit artistique entre à l'école, à l'université. Aujourd'hui c'est l'esprit scolaire, universitaire qui a envahi le théâtre, et souvent aussi, on a le sentiment que ce ne sont plus les fonctionnaires qui sont au service des artistes, mais les artistes qui sont soumis aux exigences et aux choix des fonctionnaires. Mais ceci est une autre histoire...

Depuis que je fais du théâtre, j'ai toujours entendu dire, vieille rengaine "qu'il n'y avait plus d'auteurs". Qu'aucun n'égalait les auteurs du passé. C'est un mensonge. Il y en a beaucoup, et de talent. Il faut les jouer. L'important, pour un auteur, c'est d'être joué, dans des conditions normales de qualité et d'audience, et non pas marginalement, à côté. C'est en étant joué qu'on apprend son métier d'auteur, qu'on continue. Si je n'avais pas été joué, peut-être que comme quelques auteurs, et de talent, que j'ai connus, aurai-je abandonné. On se lasse du silence. L'une des grandes et belles missions des théâtres et des compagnies, surtout subventionnés, est de mettre en relation ceux qui créent avec le public pour qui ils créent. C'est une nécessité. Ce devrait être une obligation. Crions le: il y a aujourd'hui un théâtre français, comme il y a un théâtre anglo-saxon (si cher aux théâtres privés), un théâtre allemand (si cher aux théâtres subventionnés). Auteurs, soyons ambitieux. Affirmons notre nature de poète. Revendiquons la place qui est la nôtre. C'est nous qui traçons les récits de notre époque. Laissons les modes passer, et construisons pas à pas notre itinéraire. Le Temps est avec nous.

Guy FOISSY
(Mai 1995)
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